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Handicapés : Les grands exclus de la politique du gouvernement Benkirane









Les larmes du chef de l’Exécutif, un piètre aveu d’échec


Hassan Bentaleb
Lundi 20 Juillet 2015

On est le 7 juillet 2015. Il est 23h00.  Une scène invraisemblable se déroule sur les écrans de la première chaîne nationale de télévision : Al Oula.   Abdelilah Benkirane est en train de fondre en larmes  à la Chambre des représentants.   Emu, l’homme a du mal à placer un mot. La situation des personnes souffrant de handicap semble le traumatiser. 
« Je peux vous dire que je connais la question du handicap plus que vous tous… Des mères viennent chez moi, portant des enfants qui souffriront jusqu’à la fin de leurs jours», a-t-il lancé aux députés réunis dans le cadre de la séance mensuelle de questions de politique générale.

Des larmes … et après ?
Mais derrière les larmes, l’émotion et la compassion, qu'a fait le gouvernement Benkirane en matière de promotion et de défense des droits des personnes en situation de handicap ? Qu’a-t-il fait pour  des milliers de malvoyants, de déficients moteurs et sensoriels, de handicapés physiques ou mentaux, entre autres, en quête d’une  citoyenneté entière, et devant jouir, à l’instar de tous leurs concitoyens “normaux” de droits économiques, sociaux, politiques et civiques ? 
Le bilan de  l’actuel gouvernement à ce sujet est quasi nul. La nouvelle stratégie concernant ces personnes annoncée en fanfare par Bassima Hakkaoui, ministre  de la Solidarité, de la Famille et du Développement social, tarde encore à donner ses fruits.  
Cette dernière avait annoncé en  2013 une feuille de route en six étapes, à savoir   l’élaboration  d’une politique publique au service des droits des handicapés ; la promulgation d’une loi sur les droits des personnes souffrant de handicap, la réalisation de la deuxième étude sur le handicap au Maroc ; l’implantation auprès des délégations de l’Entraide nationale de 16 unités régionales dédiées à l’accueil et à l’orientation des personnes en situation de handicap; l’exécution du programme sur l’accessibilité en partenariat avec la Banque mondiale et enfin la mise en œuvre du Fonds d’aide sociale. Mieux,  elle a même annoncé qu’elle comptait plaider pour une intégration de la dimension «handicap» dans les politiques publiques et prévoit aussi de tout faire pour promulguer  la loi portant «consolidation des droits des personnes en situation de handicap». 

Une loi-cadre hétéroclite 
et imprécise
Deux ans après, le bilan est nul, hormis quelques avancées au niveau législatif.  Ainsi, si l’Exécutif a bien fini par adopter le projet de loi-cadre relatif à la protection et la promotion des droits des personnes handicapées, il n’en demeure pas moins que ce texte n’a pas été du goût de tous les acteurs associatifs œuvrant dans le domaine. Abdelmalek Asrih, membre du bureau de l’Association La colombe blanche (ACB) et spécialiste des questions du handicap, pointe du  doigt plusieurs vices et carences qui entachent ce projet. D’après lui, le texte actuel fait table rase du précédent projet de loi élaboré dès 2008 par Nouzha Skalli en partenariat avec la société civile, malgré certaines avancées réalisées grâce à ce dernier. 
Pis, notre source estime que le dispositif actuellement en gestation  est hétéroclite puisqu’il réunit les spécificités d’une loi-cadre et celles de textes organiques. D’autant plus qu’il souffre d’un manque d’harmonisation au niveau conceptuel. « Plusieurs vices ont été constatés  au niveau de la rédaction. Il parle de « privilèges » alors qu’il faut parler plutôt de droits reconnus par la Constitution et les chartes internationales. C’est le cas aussi pour la définition du handicap qui n’est pas en conformité avec les nouveaux concepts définis par les instances internationales. Le modèle médical prédomine encore  dans l’esprit du législateur quand tout le monde sait qu’il occulte, dans sa définition du handicap, l’impact de l’environnement », nous a expliqué Abdelmalek Asrih. 
Et le comble, les dispositions de cette loi-cadre ne peuvent entrer en vigueur qu’après promulgation des  lois organiques qui risquent de trop tarder puisqu’aucun  délai légal n’a été fixé, précise notre source. « Cette loi-cadre fait référence à 12 textes législatifs et lois organiques dont personne ne sait quand ils seront promulgués.  A noter également qu’on attend toujours l’élaboration d’un document de référence en matière de handicap censé intégrer cette question dans les politiques publiques ; texte qui tarde à voir le jour pour des raisons propres au gouvernement», nous a-t-elle précisé. 

Cette enquête qui se fait toujours désirer
Mais il n’y a pas que le volet réglementaire qui patauge, l’étude sur le handicap l’est également. En fait, depuis l’enquête menée en 2004 et les schémas directeurs du handicap au niveau régional censés définir les priorités stratégiques devant guider les actions de l’ensemble des acteurs, aucune étude d’envergure nationale n’a été réalisée. « Certaines sources nous ont confirmé qu’une étude nationale sur le sujet a été élaborée et que ses résultats devaient  être dévoilés en 2014 mais personne ne sait pourquoi on a tardé  à révéler  ses conclusions », nous a précisé Abdelmalek Asrih tout en estimant que cette enquête s’impose aujourd’hui du fait que les données disponibles  remontent à 10 ans et qu’elles ne reflètent pas la réalité de la situation des personnes souffrant de handicap au niveau national. Ceci d’autant plus qu’elles sont discordantes et présentent des écarts considérables par rapport aux données internationales, notamment celles de l’OMS, a indiqué un rapport  du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Un même constat d’échec a été relevé concernant  l’implantation auprès des délégations de l’Entraide nationale de 16 unités régionales dédiées à l’accueil et à l’orientation des handicapés ; l’exécution du programme sur l’accessibilité et la mise en œuvre du Fonds d’aide sociale. « Rien n’a été fait jusqu’à présent. Des idées et des projet sont en gestation mais sans plus», nous a confié Abdelmalek Asrih.  

Du déjà-vu…
D’après lui, l’état de la situation des personnes en situation de handicap ressemble encore à celui dressé par le rapport du CESE intitulé « Respect des droits et inclusion des personnes en situation de handicap » établi en 2012. « Le quotidien des personnes en situation de handicap demeure le même. Aucune amélioration n’a été constatée au niveau de l’accès à l’éduction, au marché du travail,  aux transports et aux bâtiments administratifs ou autres et, a fortiori,   au niveau de la protection sociale et de l’accès aux soins », nous a-t-il lancé. Effectivement, la loi 10-03, relative aux accessibilités n’a pas eu l’impact escompté sur les infrastructures existantes, sur les nouvelles installations, sur le transport, ni sur les moyens de communication. L’absence de lois coercitives ou incitatives, accompagnées de décrets et de normes opposables, encourage le contournement de cette loi et la rend caduque. 
L’accès à l’éducation non plus n’a pas été amélioré. Le système  d’enseignement public ne permet pas, jusqu’à aujourd’hui,  la scolarisation de tous les enfants en situation de handicap, et n’assure pas leur égalité avec les autres enfants, puisque les établissements ordinaires ne sont pas accessibles et ne disposent pas des aménagements nécessaires. De même, les classes d’inclusion scolaire (CLIS) sont insuffisantes et ne respectent pas les normes requises. Les ressources humaines qualifiées sont, quant à elles, en nombre très limité et les programmes scolaires ne sont pas adaptés. Enfin, le soutien accordé aux associations qui gèrent les CLIS et les institutions spécialisées est insuffisant comme il n’existe pas de système de contrôle et d’inspection de ces institutions.
Les personnes souffrant de handicap continuent également à souffrir le martyre pour  accéder au marché du travail.  Ces personnes demeurent exclues des circuits ordinaires menant vers l’emploi et  ne parviennent pas à avoir des rémunérations correctes sans parler du fait qu’elles ne peuvent pas bénéficier des garanties légales  et sociales dont jouissent, en principe, les autres citoyens. 
Bassima Hakkaoui a d’ailleurs déclaré il y a plus d’un an à la Chambre des représentants qu’il était impossible de réserver 7% des postes de la Fonction publique à cette catégorie de Marocains, comme l'exigeait un arrêté de l’ex-Premier ministre Abbas El Fassi datant de 2010 et  qu’elle comptait réviser cet arrêté en vue de sa « clarification ». La ministre avait également fermé la porte du recrutement direct en faveur des handicapés, étant entendu que, jusqu’à présent, il n’existe aucun mécanisme spécifique et harmonisé de compensation du handicap et que l’accès des handicapés aux dispositifs de protection sociale reste problématique.
Des actions qui en disent long sur le prétendu amour et la soi-disant compassion de Benkirane à l’endroit de ces personnes et à leurs souffrances. Ils en disent également long sur le genre de larmes qu’il a versées sous la Coupole. George Sand avait raison de dire que : « L'homme qui a un peu usé ses émotions est plus pressé de plaire que d'aimer ».










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